Préface
La Scaling Community of Practice (SCoP) a lancé en janvier 2023 une initiative de recherche-action sur l’intégration de la mise à l’échelle dans les organismes de financement. Cette initiative a trois objectifs : informer les membres de la SCoP et la communauté du développement au sens large sur l’état actuel du soutien et de l’opérationnalisation de la démarche de passage à l’échelle (PAE) dans un large éventail d’agences de financement du développement ; tirer des enseignements pour les efforts futurs visant à intégrer le programme de scaling dans la communauté du financement du développement ; et promouvoir un soutien plus efficace des bailleurs de fonds en faveur de la mise à l’échelle par les parties prenantes dans les pays en développement. (Pour plus de détails sur l’initiative d’intégration, voir la note conceptuelle sur le site web de la SCOP).
L’Initiative de diffusion du PAE (Mainstreaming) est soutenue conjointement par l’Agence Française de Développement (AFD) et la Scaling Community of Practice (SCoP). L’équipe d’étude est dirigée par Larry Cooley (coprésident de la SCoP), Richard Kohl (conseiller principal) et Johannes Linn (coprésident de la SCoP), ainsi que de Charlotte Coogan (gestionnaire de programme de la SCoP) et Ezgi Yilmaz (consultant junior). Le personnel de MSI fournit un soutien administratif et des communications, en particulier Leah Sly et Gaby Montalvo.
La principale composante de cette recherche est un ensemble d’études de cas sur les efforts déployés par certains organismes de financement pour intégrer la mise à l’échelle. Ces études explorent la manière dont le scaling a été intégré, ainsi que les principaux moteurs et obstacles. Les études de cas visent également à tirer des leçons de l’expérience de chaque donateur et, lorsqu’elles existent, de leurs plans et/ou recommandations pour renforcer davantage la mise à l’échelle.
La présente étude de cas porte sur l’Agence française de développement (AFD). Il a été préparé par Eric Beugnot, responsable de projets d’innovation au sein de l’unité Innovation de l’AFD, avec l’aide de Richard Kohl, en tant qu’exercice d’apprentissage de cette intégration stratégique et comme contribution à l’initiative de mainstreaming de la communauté pour le scaling.
Remerciements
Cet auteur remercie Richard Kohl, Johannes Linn, François Pacquement, Bruno Bosle, Alexis Fremeaux et Rima le Coguic pour leurs commentaires et observations. Néanmoins, les constatations, interprétations et conclusions exprimées dans cette publication restent celles de l’auteur seul et ne reflètent pas nécessairement les points de vue ou les opinions de ces personnes, de l’Agence française de développement, ni de la SCoP.
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Table of Contents
Une histoire qui mène naturellement au passage à l’échelle
Le processus formel d’intégration de la démarche de passage à l’échelle (mainstreaming) de l’Agence française de développement (AFD), qui est toujours en cours, a commencé il y a plusieurs années. Cependant, pour comprendre le processus récent, il est nécessaire de le contextualiser dans les 80 ans d’histoire de l’AFD, d’explorer ce qui est impliqué dans le passage à l’échelle (PAE) et de rappeler que sa prise en compte ne se fait pas par hasard.
Depuis sa création en 1941 par le Général de Gaulle à Londres (Caisse Centrale de la France Libre – CCFL), l’AFD n’a cessé d’élargir le nombre des pays dans lesquels elle opère et la diversité des instruments financiers et autres outils qu’elle utilise pour ses interventions. Cet accroissement de la couverture mondiale et de ses instruments a été une réponse globale aux besoins croissants et changeants du développement mondial et à la nécessité de déployer les ressources plus efficacement, ce qui peut être considéré comme les premières étapes de l’intégration du PAE.
Pendant longtemps, les prêts souverains aux États ou à des entreprises publiques garanties par l’État ont été le principal outil de financement de l’AFD. Ces prêts ont servi à financer des projets ; l’approche-projet a été et demeure l’approche privilégiée par l’AFD en matière de mise en œuvre. En 1977, une filiale dédiée au financement du secteur privé, Proparco, a été créée à l’exemple de la Société financière internationale de la Banque mondiale.
A partir du début des années 2000, sous la direction de Jean-Michel Sévérino, l’AFD a continué d’élargir son portefeuille d’instruments financiers. Cela a commencé par l’octroi de subventions, qui relevait auparavant du ministère français de la coopération. Les subventions ont principalement servi à financer des activités d’assistance technique . Pour accroître cette dernière, le groupe AFD a intégré en 2022 une nouvelle filiale, Expertise France. Aujourd’hui, il intervient dans 115 pays et à un niveau d’engagement annuel d’environ 12 milliards d’euros.
Enfin, il y a eu un sursaut international à la Conférence sur le financement du développement à Addis-Abeba en 2015, qui a lancé un plan d’action pour « ne laisser personne sur le bord de la route » et qui a mis en évidence la nécessité urgente de transformer le financement du développement, afin de passer « des milliards aux trilliards » en mobilisant le capital privé. La Conférence de Séville, qui fait suite à celle de Paris en 2023, poursuit cette dynamique vers une réforme profonde de l’architecture de l’aide afin d’atteindre les objectifs de l’Agenda 2030.
Ensemble, ces éléments ont fourni une base pour l’intégration du passage à l’échelle au sein de l’AFD.
Des éléments de scaling qui demandent à être consolidés
Entre 2020 et 2021, une méthodologie d’accompagnement du passage à l’échelle (PAE) de projets financés par l’AFD a été élaborée par une équipe pluridisciplinaire (dénommée Scale up), en réponse à un appel à proposition d’un programme d’intrapreneuriat centré sur la recherche d’impacts. Constatant qu’il existait de multiples formes de passage à l’échelle, scaling up, scaling deep…, elle s’est inspirée des expériences de bailleurs, GIZ et FIDA, pour retenir la définition du FIDA, suffisamment générale pour convenir à un grand nombre de situations. Le FIDA définit la mise à l’échelle comme suit : « Il s’agit d’amplifier, d’adapter et de soutenir des politiques, des programmes et des savoirs couronnés de succès, en vue de mobiliser des ressources et des partenaires qui produiront, de façon durable, des résultats à plus grande échelle au bénéfice d’un plus grand nombre ». Partant de projets, leur essaimage peut se faire par une combinaison de réplication – avec toutes les adaptations aux contextes possibles – et d’accompagnement de politiques incitatives. Partant des projets, le passage à l’échelle peut prendre les différentes formes énumérées plus haut, de la simple réplication à une combinaison adaptée aux différents contextes et au soutien à une réforme des politiques publiques .
De cette définition ressortent sept principes fondamentaux du passage à l’échelle :
- Partir d’initiatives locales pilotes et en analyser les résultats afin de comprendre les impacts politiques, législatifs, institutionnels etc.. ;
- Adopter une « vision élargie » de ce à quoi on veut aboutir à long terme, en matière de passage à l’échelle ;
- Organiser et structurer étape par étape le PAE suivant une approche « test and learn », emblématique des cycles agiles de projets, qui se fonde sur la pratique du projet pilote, son évaluation rapide et le déploiement ; et favoriser l’innovation, même si celle-ci n’est pas un prérequis ;
- Mobiliser l’écosystème d’acteurs : pour optimiser le processus et capter des financements et ressources additionnelles ;
- Prévoir une composante organisationnelle forte, l’objectif étant d’optimiser l’efficience et l’efficacité des organisations pour une croissance et une meilleure viabilité des projets, et ce faisant renforcer le leadership de la maîtrise d’ouvrage ;
- Evaluer et communiquer les résultats et ses impacts ;
- Se placer dans une logique d’adapter systématiquement le projet aux différents contextes dans lesquels il se déploie (proscrire toute idée de reproduction mécanique).
L’équipe Scale up avait proposé une phase pilote du passage à l’échelle, sur un nombre limité de projets, pour mettre en œuvre ces principes et évaluer les résultats de la démarche – impact à l’échelle – afin d’identifier ce qui fonctionne ou pas.
Une orientation majeure vers l’aide projet dès l’origine de l’AFD
La recherche d’un impact élargi était présente à l’AFD dès son origine : tout d’abord, avant l’indépendance, le but de la coopération était de partager la prospérité entre la Métropole et les colonies ; ensuite, il y a eu un débat important sur la question de savoir s’il fallait adopter une approche fondée sur les projets d’investissement ou sur le soutien budgétaire, cette dernière devenant plus importante au fil du temps. L’approche de l’appui budgétaire consiste à financer l’État par une contribution à son budget. Pour beaucoup, elle s’apparente à la poursuite d’une vision à grande échelle.
Au début des années 60, l’affectation de l’aide à des projets spécifiques était le seul moyen de s’assurer une utilisation rationnelle des crédits. La doctrine de rentabilité a établi que l’AFD ne financerait que les projets générateurs de revenus, à l’exclusion des opérations à rentabilité indirecte (routes, éducation et formation, santé), réservées aux autres outils de la coopération française. L’organisation de l’AFD n’autorisant que le financement de projets de grande envergure, plantations, infrastructures et équipements industriels, une diffusion plus large du financement à l’économie a été réalisée par la création de banques de développement ou de sociétés d’équipement, auxquelles elle a contribué.
Une ouverture vers les financements budgétaires
Dans les années 80 apparaissent les prêts d’ajustement structurel (PAS). De nature différente des aides projet, ce sont des prêts budgétaires assortis de matrice de conditionnalités visant à accompagner des ajustements macro-économiques. En dépit de leur montant de plus grande envergure et de leur approche macro-économique, on ne peut pas les envisager sous l’angle du scaling. Les approches programmes, prêts de politique publique s’en rapprocheront. Ce sont des prêts budgétaires assortis de matrice de changements, comme les PAS. Le graphique 1 montre la croissance des engagements de l’AFD depuis 2008, avec des prêts d’appui budgétaire qui représentant environ 10 % du total jusqu’en 2020, une proportion qui a doublé au cours des trois dernières années (2021-23).
Figure 1. Prêts projets et prêts de politique publique (PPP)
Cette activité de PPP a fait l’objet d’une attention particulière à la fin des années 2010 avec une grande évaluation rétrospective présentée au CA de l’AFD en septembre 2019. Certaines critiques sur leur efficacité ont été formulées : tout en reconnaissant que les interventions appuyaient bien des politiques pertinentes et crédibles avec un degré élevé d’appropriation, la question était posée sur la clarté des objectifs des financements et leur influence sur la formulation et la mise en œuvre de ces politiques. Par ailleurs, si les changements au niveau institutionnel préparaient un terrain plus propice aux investissements, ils ne signifiaient pas forcément que ces investissements aient effectivement lieu. Une note interne, dédiée aux suites de la doctrine deux ans après, recommandait : « une approche plus intégrée des prêts de PP avec les autres opérations de l’AFD (et d’autres bailleurs) notamment pour faire le lien avec la société civile et la recherche et créer un tissu intellectuel qui prendra sa place dans le débat sur les politiques publiques soutenues ».
Les projets présentent souvent un caractère pilote ou de démonstration mais sont rarement accompagnés d’une perspective à long terme
L’aide projet représente donc, on vient de le voir, 80 à 90% des interventions du groupe. Les montants moyens des interventions, de 40 à 50 M€, ne peuvent être que faibles par rapport aux besoins du secteur et les notes aux instances de décision affichent souvent, lucidement, un caractère pilote ou de démonstration. On a bien sûr des exceptions, comme l’initiative Scaling solar menée avec la KFW et la Banque Mondiale, qui visait à une démarche plus systématique de couverture des besoins en électricité . Le plus souvent, le financement de projet reste dans une ambition de diffusion limitée et la couverture élargie des besoins se fait de manière séquentielle sous forme de repeat deal, tous les quatre ans, plutôt que dans une approche réfléchie de diffusion nationale impliquant une large mobilisation d’acteurs.
Quand l’équipe Scale up a démarré ses travaux en 2020, elle a procédé à un état des lieux préalable : elle a passé en revue une grande partie des projets financés en 2019 dans tous les segments d’activité ; cet exercice a montré que trois projets sur quatre avaient un potentiel de passage à l’échelle mais que très peu – quasiment aucun en réalité – prévoyait des moyens pour passer à une échelle plus grande. Dans de rares cas, un petit budget était prévu pour une conférence de dissémination.
La littérature sur le sujet recommande que la mise à l’échelle soit intégrée le plus tôt possible dans les projets, de préférence à l’étape de la conception, et constate que sans accompagnement il ne se passe rien. Les principaux ingrédients manquants dans la conception des projets sont :
Une vision du besoin global ou de la taille potentielle du marché
L’évaluation des projets présentés aux CA de l’AFD prévoit systématiquement, en première partie, un chapitre dédié au « secteur et ses enjeux ». Il commence par décrire le contexte géographique de l’activité, puis la politique du gouvernement pour appuyer son développement et ses lacunes, et enfin l’importance pour le pays de cette activité. La note décrit ensuite le projet, ses objectifs et ses composantes, toutes cohérentes, mais à la fin il n’est pas possible de savoir quelle est la proportion des besoins auxquels le projet répond par rapport au potentiel national. Est-elle de 10%, 20% ou plus ? on ne le sait pas. Cette information, on le verra plus tard, est le premier élément permettant la mobilisation d’autres acteurs, en particulier des financeurs, pour un passage à l’échelle.
Un modèle viable et durable
C’est un élément fondamental qui détermine le périmètre réel d’un passage à l’échelle, car aussi bien ceux qui mettront en œuvre l’essaimage que ceux qui le financeront auront besoin de savoir quelle est la rentabilité attendue de ce qu’on leur propose. Il y aura souvent une rentabilité directe, qui pourra être prise en charge par un établissement financier, et une rentabilité indirecte, qui sera appréhendée, de manière parfois diffuse, au niveau de la collectivité (locale, régionale, nationale). La difficulté à appréhender la rentabilité directe est qu’elle n’est souvent pas prévue, ni au départ, ni à l’arrivée. Dans ce dernier cas, il est surprenant de ne pas trouver d’indicateur d’accroissement de richesse pour les nombreux projets d’appui au secteur productif (la plupart des projets dans l’agriculture, ou les projets d’inclusion sociale par exemple). Les indicateurs d’impact portent assez systématiquement sur le seul nombre de personnes ou d’entreprises soutenues par le programme. C’est une mesure d’efficacité très partielle et qui ne signifie pas grand-chose en dehors de la connaissance du contexte. Une mesure de cet accroissement de richesse permettrait d’apprécier s’il est possible d’envisager un financement par les institutions financières locales. La difficulté à l’appréhender ex post vient de l’absence de baseline. Considérant qu’il faut trois ou quatre ans pour monter le projet et encore deux ou trois ans pour que l’accompagnement des bénéficiaires produise ses effets, on imagine bien le problème. L’objectif à terme, si l’approche PAE entre dans le mainstream, est d’intégrer ce type de mesure dès le départ.
Un cofinancement encore faible
Le cofinancement est le premier degré d’une recherche accrue d’impact. Il permet d’accroître le volume du financement mis à disposition avant même de rechercher une mise à l’échelle plus systématiquement étendue au niveau national ou régional. Son importance est avérée par l’initiative récente lancée par la Banque Mondiale, qui a mis en place une plateforme dédiée, pour les favoriser. Cependant, le cofinancement est confronté à des défis qui limitent son utilisation (encadré 1).
Encadré 1. Défis du cofinancement
Le cofinancement est confronté à la difficile coïncidence des stratégies d’intervention et des agendas en premier lieu, puis à l’harmonisation des procédures. Il peut arriver aussi que les maîtrises d’ouvrage nationales ne souhaitent pas entrer dans le jeu du cofinancement en raison des difficultés de gestion que cela peut engendrer et parfois parce que cela peut les mettre en position de faiblesse dans les négociations. Des solutions existent, rapprocher les stratégies pluriannuelles d’intervention des bailleurs pour anticiper deux ou trois ans à l’avance des interventions communes et surmonter le décalage des agendas d’instruction, ou encore un cadre de procédures communes. L’AFD participe à des initiatives telle celle mise en place au niveau de l’Union Européenne (Joint Programming Initiative – JPI). |
La part des cofinancements au niveau de l’AFD reste ainsi relativement faible : une étude historique et statistique menée sur les dix dernières années montre une proportion stable autour de 25% en nombre et en montant, un peu plus importante dans les géographies nouvelles (37% en Asie et 28% en Amérique Latine). Les projets les plus gros ont davantage de cofinancements (plus de 60% pour ceux supérieurs à 300 M€) mais comme la part des projets inférieurs à 100 M€ est très largement majoritaire (83%) et faiblement cofinancée (autour de 10%) on comprend mieux la moyenne globale.
Enfin, il est important de relever que les cofinancements sont en très grande majorité effectués entre bailleurs du Nord. Ceux avec le système financier local, à commencer par les banques publiques de développement, sont quasi inexistants au niveau statistique. Or, on le verra, une mise à l’échelle nationale, eu égard à l’ampleur des besoins, ne peut être satisfaite par les financements extérieurs, elle commence par les financements nationaux. Traditionnellement, les banques servent un objectif de diffusion des financements à l’échelle plus fine des particuliers et des PME, qui ne peuvent être atteints directement par l’AFD. Elles sont refinancées par des lignes de crédit, avec un objectif de développement durable (mise en conformité environnementale par exemple), et si ces lignes ont l’ambition d’ouvrir la voie à une nouvelle activité, le périmètre des actions est souvent limité par le financement octroyé.
Des cadres d’intervention par pays de l’AFD qui laissent peu de place à des interventions sectorielles coordonnées.
Comme pour beaucoup de bailleurs, les interventions de l’AFD sur le terrain sont organisées au plan stratégique par des Cadres d’Intervention Pays (CIP). Ceux-ci s’attachent à élaborer une cohérence d’intervention au plan des besoins du pays dans une perspective historique et eu égard à la valeur ajoutée spécifique de l’AFD dans le contexte, en obéissant logiquement à une doctrine de secteurs de concentration. La part dédiée à l’harmonisation de l’aide dans ces documents existe mais reste faible et n’est pas orientée vers une réflexion visant un passage à l’échelle des interventions. Ces cadres devront être adaptés.
L’AFD a récemment adopté une nouvelle stratégie qui met l’accent sur la mobilisation
Depuis le début des années 2000, l’activité de l’AFD est guidée par des Plans d’Orientation Stratégique (POS) couvrant 4 à 5 exercices. Le cinquième (2024-29) met en avant quatre engagements dont celui de devenir une « plateforme de mobilisation ». Cette mobilisation est à trois niveaux, financière dans une optique d’alignement, citoyenne avec une sensibilisation à l’engagement et enfin celle des expertises et des savoirs pour faire le lien entre monde académique et décideurs politiques. Elle vise un effet d’amplification et d’entraînement en construisant des coalitions et communautés d’acteurs. Dans l’esprit, c’est exactement ce que vise le PAE.
La vision stratégique de l’AFD en matière de mobilisation financière
La vision stratégique de la mobilisation financière contient les ingrédients d’une démarche de passage à l’échelle, déclinée à trois niveaux :
- Co-financer et amplifier la délégation des fonds partenaires. L’AFD contribuera notamment à l’émergence d’une offre financière européenne conjointe, au sein des trois grands réseaux européens de financement du développement : JEFIC, Practitionner’s network et EDFI , mais cherchera aussi à mobiliser d’autres acteurs, publics et privés, autour de thématiques d’intérêt commun.
- Mobiliser le secteur privé au service du développement durable, en s’appuyant sur sa filiale Proparco, appelée à jouer un rôle catalytique auprès d’acteurs privés, et tout particulièrement d’acteurs institutionnels. La stratégie de « mobilisation active » propre à Proparco prévoit des modalités spécifiques pour accroître les flux privés en faveur des ODD. Parallèlement, il est précisé que le groupe AFD travaillera à la création d’un environnement des affaires favorable à la mobilisation du secteur privé, lucratif comme non lucratif, dans ses pays d’intervention en travaillant sur l’amont, le cadre réglementaire, normatif et institutionnel, avec notamment le déploiement de l’expertise technique internationale dans le cadre d’une offre groupe AFD, avec Expertise France.
- Orienter les flux financiers et les investissements vers les ODD, en positionnant les ressources sur les verrous ou les freins qui empêchent les initiatives, en soutenant la transformation des systèmes financiers par la prise en compte des risques financiers climatiques et le développement de plans de transition chez les acteurs non souverains ; en agissant sur la mobilisation des ressources domestiques par le renforcement des réseaux d’épargne et de crédit, des capacités fiscales (collecte de l’impôt) et des banques publiques de développement.
Il est important de rappeler encore une fois qu’une démarche de passage à une échelle régionale ou nationale d’un projet initial, pilote, ne peut se concevoir avec les seules ressources de l’investissement et de l’aide externe ; ces derniers ne peuvent agir qu’en subsidiarité de ressources locales. Les investissements annuels des pays en développement sont supérieurs à 10.000 MdsUSD là où le montant total de l’APD est de 200 Mds, cinquante fois moins.
La mobilisation des ressources locales, au-delà des intentions de la stratégie, peut s’appuyer sur l’expérience du FICS. Le club IDFC sous la présidence et l’impulsion de l’AFD, de 2018 à 2023, a été à l’initiative de la coalition Finance en Commun (FiCS), qui rassemble les 530 et quelques banques publiques de développement recensées dans le monde et a permis de mettre en lumière leur rôle dans le financement des économies et leur potentiel pour réorienter la finance vers les enjeux de développement durable. La démarche de PAE peut s’appuyer sur ce réseau et sur les relations établies avec certaines des banques pour amorcer une mobilisation du système financier local.
Ayant considéré le chemin à parcourir pour que l’aide projet étende ses impacts de manière élargie, dans un cadre stratégique favorable, il reste maintenant à voir comment cette approche de mise à l’échelle peut être institutionnalisée et opérationnalisée.
L’expérience en cours pour institutionnaliser le scaling
Elle a commencé en 2020 avec un projet d’intrapreneuriat et a été poursuivi à partir de 2024 sur un test sur un nombre limité de projets. Cette expérience livre des enseignements intéressants à travers ses étapes successives, ponctuées de réussites et d’échecs.
Les principales étapes du processus : la mise en œuvre d’un test opérationnel
Etape 1 : Développement d’une méthodologie
Entre 2020 et 2021, l’équipe Scale up a élaboré une méthodologie d’accompagnement du passage à l’échelle (PAE) des projets financés par l’AFD, en réponse à un appel à proposition d’un programme d’intrapreneuriat centré sur la recherche d’impacts. Le constat partagé des quatre membres de l’équipe était que beaucoup de projets étaient définis comme des pilotes ou des démonstrateurs mais qu’ils ne débouchaient pas sur l’effet d’entraînement souhaité. L’expérience personnelle a été confirmée par l’état des lieux déjà évoqué montrant que trois projets sur quatre en 2019 avaient les caractéristiques d’un potentiel de passage à l’échelle mais que très peu – quasiment aucun en réalité – prévoyait des moyens pour passer à une échelle plus grande. Dans de rares cas, un petit budget était prévu pour une conférence de dissémination
Les livrables ont été présentés à l’été 2021 au Comex de l’AFD, qui les a approuvés. Ils consistaient en
- un questionnaire destiné à discerner si le projet entre dans le champ du passage à l’échelle,
- un document méthodologique pour décrire les enjeux et les différentes étapes de la démarche (la vision de la cible raisonnable à atteindre, la stratégie de mise en œuvre – identification des freins et des moteurs, et la recherche des financements) ;
- la révision de l’avis de développement durable, avis indépendant donné dans le cadre de l’instruction du projet avant d’être soumis aux instances de décision : le critère de durabilité intégrait désormais la perspective de PAE.
Le comex a marqué alors son intérêt, en particulier au regard de la possibilité que le processus multiplie par cinq ou plus l’impact des investissements de l’AFD.
Étape 2 : Échec d’une application opérationnelle.
La démarche a ensuite été présentée en janvier 2022 à la conférence annuelle du réseau des agences de l’AFD. Cinq agences se sont déclarées intéressées et un accompagnement par l’équipe Scale up leur a été proposées. Puis, durant toute l’année 2022, malgré les relances, il ne s’est plus rien passé. Les équipes projet, au siège et en agence n’avaient manifestement aucune disponibilité pour traiter le sujet, même avec cet accompagnement. L’intérêt était toujours présent, mais dans un contexte tendu il manquait d’incitation, en l’absence d’instruction managériale. En l’absence de moyens dédiés, s’est alors posée la question de la pertinence de la démarche.
Étape 3 : Relance avec une stratégie axée sur la mobilisation
Durant l’année 2023 ont été diffusés les travaux de préparation du 5ème plan stratégique de l’AFD qui intégrait le thème de la mobilisation dans ses composantes fondamentales. Au départ, l’idée était relativement imprécise mais il y avait une conscience claire que les efforts de l’AFD devaient être démultipliés à travers la mobilisation d’autres partenaires financiers. En particulier, un alignement des stratégies des banques publiques de développement était nécessaire après le constat que leur financement n’était pas toujours orienté vers les 17 ODD . Les travaux menés au sein d’un groupe de travail « mobilisation financière » ont par ailleurs recommandé que l’AFD se projette au-delà de l’APD financière (selon les principes du CAD) en termes de comptabilisation des impacts. C’était une évolution importante du mode de pensée, car jusqu’à présent, seul l’objectif de contribution à l’effort national d’atteinte des 0,7% du PIB en APD prévalait. Ce changement de cap constituait une incitation importante à poursuivre les efforts en faveur du passage à l’échelle en dépit du premier échec évoqué.
Étape 4 : Prise de conscience du besoin d’un nouveau métier
Les travaux de mobilisation financière étaient menés sous la conduite de la nouvelle direction Mobilisation Partenariat et Communication (MPC), notamment en charge de la relation avec les autres acteurs financiers (bailleurs de fonds, banques publiques, fondations…). L’échec de la diffusion opérationnelle du scaling (étape 2) a fait apparaître assez naturellement que sa mise en œuvre devait être menée en dehors des équipes projet, œuvrant au sein des deux directions opérationnelles. Il était en effet notoire que les équipes projet étaient sous tension pour remplir les objectifs d’engagement annuels, assurer leur démarrage effectif (signature des conventions de financement et contractualisation des travaux et prestations) et le suivi correct d’exécution durant les quatre années de réalisation. Leur demander de prendre en charge une dimension supplémentaire plus complexe était loin d’être raisonnable.
Même si la démarche de passage à l’échelle était proche dans ses composantes de celle du projet (étude de marché pour établir la vision, recherche de co-financements…) elle s’apparentait plus à un métier de facilitateur, c’est-à-dire de mise en relation de nouveaux bénéficiaires identifiés, aptes à reproduire le projet original, avec d’autres financiers que l’AFD. Donc, un nouveau métier distinct permettant de bien reconnaître et valoriser les contributions de chaque partie .
Pour ne pas créer de confusion avec les équipes projets, la nouvelle feuille de route de MPC a acté qu’il se situerait en son sein, en cohérence avec sa mission de mobilisation.
Étape 5 : Vers un test opérationnel
L’inscription du PAE dans la feuille de route de MPC, après les procédures de consultation internes, n’a pas entraîné le nouveau départ espéré. Elle prévoyait une équipe de quatre agents pour démarrer mais les arbitrages budgétaires et l’enjeu premier de conduire la réorganisation sur les métiers traditionnels de la direction, en rehaussant ses objectifs, a conduit à différer la nouvelle cellule prévue. La cellule innovation (INN), qui portait ce projet depuis deux ans, convaincue du bien-fondé de la démarche et de la persévérance nécessaire, propre à tout dispositif innovant, a décidé de poursuivre l’expérimentation pour le compte de la structure destinataire in fine, MPC. Le message de ce dernier était : nous n’avons pas de ressource mais le comex a adopté l’objectif, vous pouvez y aller. La démarche a véritablement redémarré après un recrutement en février 2024, pour constituer une équipe de deux personnes.
La mise en œuvre d’un test opérationnel
Alors que le projet pilote lancé en 2024 n’en est qu’à ses débuts, l’expérience acquise à ce jour valide l’utilité pour l’AFD de soutenir la mise à l’échelle des projets. Cette section décrit le processus et l’approche utilisés par l’unité de mise à l’échelle en 2024.
Étape 6 : Sélection d’un échantillon de projets
L’expérience entreprise vise à faire la démonstration de l’efficacité des efforts entrepris pour accompagner le passage à l’échelle de projets porteurs d’impacts. Puis mesurer la balance des coûts et des bénéfices, pressentant que la décision d’étendre ou non le dispositif en tiendra fortement compte. Le modèle économique de ce nouveau métier pourrait ainsi intégrer des commissions d’arrangement perçues auprès des financeurs de ce passage à l’échelle pour la couverture des coûts. A cette fin, un enregistrement des temps passés, pour l’équipe INN et pour les personnes sollicitées, a été entrepris.
Le démarrage du test (février 2024) a conduit à sélectionner une vingtaine de projets, représentatifs de différentes configurations et secteurs. Le constat initial que trois projets sur quatre ont un potentiel de passage à l’échelle ne signifie pas qu’ils ont tous le même degré de facilité à passer à l’échelle et, s’agissant d’un test, les projets les plus difficiles n’allaient pas être privilégiés. Pour choisir des projets « plus faciles », sachant que ce qualificatif est très réducteur, une grille de critères a été établie (cf. encadré). Aucun projet ne les remplissant tous, cette grille est restée un outil de sélection, avec des pondérations différentes selon le type de projet (entre ceux qui portent une rentabilité économique et ceux qui sont plus orientés socialement).
Figure 1. Critères de sélection des projets de passage à l’échelle
Les projets ciblés étaient ceux terminés récemment ou en voie d’achèvement, c’est-à-dire, en cette année 2024 de test, ceux approuvés entre 2019 et 2021 ; la recherche s’est faite de plusieurs manières : en priorité, et c’était le cas idéal, sur proposition des divisions techniques ou géographiques (agences et responsables pays au siège), mais comme elles n’étaient pas toujours disponibles et aussi pour ne pas arriver les mains vides dans la discussion, un travail préalable d’exploration par la lecture des dossiers soumis aux instances de décision était souvent effectué en amont, par secteur ou pays. Le risque était d’apprendre que le projet n’avait pas tenu ses promesses mais cela débouchait fréquemment sur un rebond : « Ce projet n’a pas très bien fonctionné, mais vous devriez regarder celui-là ». La recommandation à l’instinct était souvent efficace et ménageait la disponibilité des services opérationnels.
Étape 7 : Mise à l’échelle
Élaboration d’une approche viable à l’échelle avec les partenaires de mise en œuvre
A partir de cette sélection, une rencontre est alors organisée avec l’opérateur du projet, la maîtrise d’ouvrage ou l’assistance technique, qui a la connaissance du terrain. Il peut plus facilement indiquer où le projet initial peut être étendu et dans quelles conditions. S’il est partant, ce qui arrive la plupart du temps, l’objectif est de construire conjointement une note concept sur ce passage à l’échelle (vision, stratégie, besoins financiers), avec les informations minimales qui permettent de rédiger une fiche de synthèse courte, à la base d’une première recherche de financement, au moins pour mener une faisabilité plus approfondie. La note concept formalise l’intention et inscrit tout ce que l’on sait et tout ce que l’on a besoin de savoir par des études complémentaires.
Premiers enseignements et résultats encourageants
L’une des leçons tirées est la tension entre le désir d’élargissement du PAE et ce que l’opérateur se sent en capacité de faire, qui va tendre à restreindre l’ambition, surtout quand il s’agit d’ONG. L’intervention se situe souvent dans une discussion sur la phase ultérieure d’un projet qui, encore une fois est une réplication limitée : étendre de un à trois fois le périmètre initial. On comprend bien l’appréhension à le multiplier par 10 ou plus. Cela oblige potentiellement à changer d’organisation voire de rôle : passer d’opérateur à celui de conseil auprès d’autres opérateurs disséminés. Une organisation a été identifiée en France qui accompagne les structures qui ont besoin de s’adapter pour changer d’échelle (scalechanger.org), elle est très utile.
En outre, l’expérience de l’AFD avec cette expérience de mise à l’échelle confirme les conclusions tirées de la littérature internationale sur la mise à l’échelle : d’abord souligner que le processus est long : il peut s’écouler plusieurs mois entre l’échange initial avec l’opérateur et la remise d’une concept note aboutie, après souvent plusieurs allers et retours. Malgré les explications et la remise d’un canevas de note, les incompréhensions subsistent car on sort du cadre habituel. La tendance instinctive de l’opérateur est d’imaginer une mise à l’échelle qui ne dépasse pas la réplication du projet initial, tel un repeat deal. La consigne donnée est pourtant d’imaginer un scénario où les ressources seraient illimitées, pour explorer l’univers des possibles le plus étendu. Une autre raison au délai est que ce travail demandé à l’opérateur, même s’il a le désir de l’accomplir, se cumule avec la conduite du projet en cours et il le fait à ses temps perdus.
Beaucoup des tâches demandées à cette étape de conception, la vision de l’échelle, le modèle économique, seront plus faciles à mener quand elles auront été prévues dès le démarrage d’un projet et non pas ex post.
10 mois après le démarrage de l’expérience (février-décembre 2024), 9 projets sur 23 en portefeuille ont mené à une note concept en bonne ou des éléments qui permettent d’envisager une suite et de futures investigations, 4 sont en cours d’analyse et 10 projets paraissent avoir un destin incertain. L’expérience conduira à analyser plus rapidement les facteurs de succès et d’échec de la sélection de projets.
En attendant, les trois projets les plus avancés ont donné des résultats encourageants et sont riches d’enseignements, même si les étapes de passage à l’échelle ne sont pas encore allées jusqu’à leur terme. Ils sont présentés dans l’encadré 2 ci-dessous.
Encadré 2. Trois cas sélectionnés pour l’échelle dans le projet pilote initial
La pisciculture en Guinée.L’AFD mène avec succès dans ce pays l’expérimentation de la pisciculture associée à la culture traditionnelle du riz en milieu paysan depuis 20 ans avec comme objectifs de lutter contre la malnutrition et pauvreté. Après des pilotes de petite taille, le dernier projet (10 M€) mené entre 2020 et 2024 a constitué un premier PAE : il a permis de structurer une filière et financer 3000 installations en milieu paysan. La suite s’annonçait plus difficile avec des moyens en subvention réduits. Une mission conjointe avec l’équipe d’évaluation du projet fin août a profité d’un séminaire de capitalisation à Conakry basé sur un rapport externe et a effectué des visites de terrain. Un potentiel de déploiement sur 4 régions pu être quantifié (30.000 paysans, soit 10 fois plus que le projet précédent). L’analyse économique a pu être approfondie montrant que les dépenses sur la filière menée par le précédent projet avaient générée une valeur ajoutée annuelle (valeur des pêches au prix du marché) permettant un retour sur investissement en 6 ans ; au niveau des exploitations, l’investissement en infrastructure (digues) et accompagnement technique pouvait être financé avec un taux commercial en 5 ans. Le manque de financement bancaire des pisciculteurs avait été identifié par le rapport de capitalisation comme un frein important au développement du secteur. Partant de ces constats et analyses, le tour des banques, et en particulier la banque publique de développement dédiée au crédit rural, des bailleurs et d’une fondation a montré un potentiel de mobilisation financière permettant d’envisager une réalisation du potentiel de déploiement. Les démarches se poursuivent pour les concrétiser, chaque établissement allant à son rythme. Facteurs de réussite/leçons apprises : la combinaison d’une évaluation existante avec des visites sur le terrain et des consultations avec les intervenants et les bailleurs de fonds potentiels, tant nationaux qu’internationaux, est une approche viable pour évaluer l’évolutivité potentielle, en déterminant une vision de l’échelle, et susciter un intérêt initial pour le cofinancement à partir de sources multiples. Une visite sur le terrain et tout ce qu’elle impliquait et produisait était nécessaire, ces résultats n’auraient pas pu être produits en restant au siège à Paris. Traitement du cancer en Afrique de l’EstLe département santé de l’AFD était fier des résultats d’un premier projet en Tanzanie pour cette maladie mal appréhendée par les autorités sanitaires, alors que le cancer devient une des premières causes de mortalité en Afrique et une source d’inégalité de genre. La volonté était dès lors pour l’AFD de l’étendre. Les discussions avec l’opérateur et l’équipe projet ont permis d’élaborer un périmètre plus ambitieux, prenant une dimension régionale (avec le Kenya), et a attiré de ce fait d’autres fonds. Le nouveau projet est toutefois loin de couvrir les besoins nationaux et l’étape suivante, post octroi des financements actuels, est de mener un plaidoyer auprès des gouvernements tanzaniens et kényans. Des termes de référence d’une étude d’évaluation d’impact ont été rédigés pour montrer les gains économiques de la mortalité évitée, au sein d’une population généralement en âge de travailler. Les premiers calculs montrent un ROI très favorable quand on rapporte le coût de la prévention et d’un traitement précoce au PIB sauvegardé sur la base simple du PIB/hab des personnes traitées. Facteurs de succès/leçons apprises : la mobilisation d’une ambition à plus grande échelle a créé un mouvement vers une extension régionale, d’un pays à l’autre. Une étude d’impact semble nécessaire pour aller au-delà de cette première mise à l’échelle. Appui technologique aux PME au SahelUn projet sur quatre pays sahéliens a montré tous les bénéfices d’un accompagnement technologique de petites et très petites entreprises de transformation agricole : traitement sanitaire, packaging etc. Toutefois, ces bénéfices étaient appréhendés par le retour qualitatif des entreprises et par leur nombre, en rapport aux prévisions initiales. Pour prépare un PAE sur un des pays, le Sénégal, un économiste a été contracté pour estimer la valeur ajoutée engendrée par cet accompagnement. Les résultats ont été étonnants : partant d’un différentiel de croissance des chiffres d’affaire et de la valeur ajoutée (VA) de ces entreprises accompagnées par rapport aux statistiques nationales, la VA supplémentaire sur une durée de 10ans montre un rapport de 1 à 10 avec l’investissement d’accompagnement, y compris les frais de structure. Le nombre d’entreprises accompagnées avec les moyens du projet était de 250 ; les besoins au niveau du pays sont estimés à plus de 2000. La question se pose maintenant d’un déploiement plus large. Les résultats devaient conduire logiquement à mobiliser des ressources financières locales en premier lieu, notamment publiques, le gouvernement affichant des ambitions fortes de développement entrepreneurial. Facteur de réussite/leçon apprise : Bien que ce cas ne soit pas encore très avancé, il illustre l’importance de la réalisation d’évaluations qui créent des données probantes pour convaincre les autorités nationales, les bailleurs de fonds et d’autres intervenants. |
Ces trois projets sont les premiers à avoir été étudiés de manière plus approfondie et dans ces trois cas, les résultats sont prometteurs. Il n’a pas été fixé de seuil de succès dans cette expérimentation. L’enjeu immédiat est plutôt de démontrer qu’avec des efforts raisonnables, une multiplication d’impact est possible par une mobilisation des acteurs appuyée sur des résultats d’impacts et l’explicitation des avantages attendus. La détermination plus fine d’un modèle économique de la fonction d’arrangeur interviendra plus tard.
L’encadré 3 résume les principales leçons tirées de ces projets où la mise à l’échelle a été initiée sans réelle intention initiale.
Encadré 3. Comment faciliter la mise à l’échelle dès le début d’un projet
Quand mettre l’accent sur la mise à l’échelle – Envisagez de la mettre à l’échelle dès le début d’un projet, qu’il soit pilote ou non. Vision – Évaluer les besoins globaux à l’échelle nationale ou régionale. Cela aide à créer une dynamique précoce et encourage la réflexion sur les possibilités futures d’expansion. L’approche de la mise à l’échelle affinera ultérieurement l’objectif réaliste à atteindre. Souvent, on ne comprend pas clairement quelle proportion des besoins globaux le projet couvre réellement. Environnement de l’entreprise – Identifier tous les facteurs qui permettront la mise à l’échelle, sans nécessairement les étudier s’ils ne font pas partie de la portée initiale du projet. Cela comprend les intervenants qui devront être mobilisés, les forces et les faiblesses du secteur, l’existence de politiques publiques—ainsi que leurs forces et leurs limites, etc. Modèle économique – Mettez en évidence le modèle économique du projet, peu importe comment le bailleur de fonds finance le projet initial. La mise à l’échelle ne peut pas reposer uniquement sur des ressources externes telles que des subventions. Il faudra convaincre les financiers publics et privés, surtout nationaux, de la valeur d’investir dans le concept développé dans le projet initial. Ils devront comprendre les composantes profitables et non profitables de l’investissement, ainsi que ses externalités positives et négatives. Mesure de l’impact – En plus de ce qui précède, construire un cadre pour mesurer les impacts du projet — non seulement ceux requis pour la responsabilité des donateurs, mais aussi ceux nécessaires pour convaincre les futurs partenaires et investisseurs, valeur ajoutée pour les projets productifs par exemple. Si une base solide n’est pas établie dès le départ, il sera plus difficile de la reconstruire par la suite. Budget – Si possible, ajoutez des fonds au budget initial pour mener à la fin, lorsque le succès est confirmé, les efforts de diffusion et de transfert, les études complémentaires, etc. qui aident à assurer l’échelle subséquente. |
Prochaines actions à prévoir
Première préfiguration du métier de facilitateur
Rappelons qu’un des postulats de l’expérience menée est que le résultat du PAE ne peut être obtenu qu’en y consacrant des moyens spécialement dédiés, les équipes projet n’ayant pas, dans l’organisation actuelle, la bande passante suffisante pour à la fois instruire et effectuer le suivi de projets courants et leur mise à l’échelle, processus complexe. Il convient donc d’avoir une idée précise de ce métier qu’on qualifie d’arrangeur. Dans le monde des affaires, l’arrangeur est celui qui identifie des financeurs et réalise pour eux les due diligences contractuelles. Dans ce qui est envisagé, il n’irait pas jusqu’à ces aspects contractuels mais en revanche irait plus loin en amont de la recherche de financeurs, dans la définition d’un projet/programme aux impacts élargis. Le premier retour d’expérience lui attribue les fonctions suivantes :
- Porteur de la méthodologie, l’arrangeur agit en synergie avec les équipes projet pour développer la méthodologie de PAE à partir de projets réussis et leur suite. L’expérience montre qu’ils apprécient cette collaboration qui donne plus de perspective à « leur » projet.
- Il agit en ensemblier pour la réalisation des investigations nécessaires : études de marché, études d’impact, analyses économiques (rédaction des TDR, contractualisation, suivi).
- Avec les équipes mobilisations existantes, il assure la mise en relation et le plaidoyer auprès des financeurs potentiels jusqu’à leur bonne fin.
- Il organise la mesure des impacts et en rend compte.
Ces fonctions peuvent être résumées à la figure 2 ci-dessous.
Figure 2. Étapes de l’expansion par la mobilisation du cofinancement
Si le test est jugé concluant, cette fonction devrait être créée au sein de la direction exécutive en charge de la mobilisation, dans l’idéal fin 2025. Mais il faudra aussi mener deux autres investigations.
Deux chantiers complémentaires à mener
Un modèle financier durable doit être développé
L’AFD étant un établissement financier devant équilibrer ses comptes, cette fonction supplémentaire de facilitateur doit rechercher un recouvrement minimal des coûts. Les réflexions qui suivent montrent une soutenabilité possible à partir de trois postulats :
- Postulat 1 : le coût de l’essaimage est inférieur à celui du projet d’origine, pour des impacts multipliés
- Postulat 2 : le facilitateur, en permettant la réalisation de projets (effet catalyseur) peut s’attribuer la paternité des impacts, sans supporter tous les coûts d’investissement. La comptabilisation n’est évidemment pas la même, mais les impacts sont réellement démultipliés.
- Postulat 3 : il serait possible, une fois la preuve du concept faite, de vendre des impacts à des fonds pour financer l’outil, le coût de ces impacts étant inférieur à celui d’un projet d’origine.
En régime de croisière, l’outil de facilitation aura ainsi deux sources de financement :
- Les commissions de facilitateur, chaque fois que cela sera possible, perçues auprès des financeurs mis en relation. L’effet multiplicateur devrait réduire leur montant unitaire. Un calcul effectué dans un cas simple de réplication d’infrastructure montre que la commission de facilitation serait de 0,15% du coût de l’investissement, amorti dans le taux des financements
- Une contribution au budget de la part de fonds à la recherche d’impact. Sur la base de l’expérience de l’outil, cette contribution pourra être quantifiée en rapport au volume d’impact promis, permettant au fonds d’apprécier l’avantage comparatif de l’outil.
Une méthodologie de mesure des impacts rigoureuse à établir
Avec ou sans équilibre financier complet, le métier d’arrangeur participe à la redevabilité du bailleur de fonds d’aide au développement, dont les autorités tutélaires veulent s’assurer que la mission est remplie au mieux, avec une économie de moyens. La question des impacts est d’autant plus grande en période de contraction budgétaires. Mesurer les impacts produits par des tiers mobilisés dans une démarche de PAE est moins simple que quand il s’agit d’un cofinancement. Il faut convenir de règles pour une mesure rigoureuse et évitant les doublons :
- Quel est le déclencheur de l’impact démultiplié ? : engagement des fonds du tiers, décaissement, évaluation ex-post des impacts ? La mesure est possible à chacune des étapes.
- Quelle est la base de la mesure ? : acteurs qui ont été réellement mobilisés par le bailleur, ou également ceux qui, de manière indirecte, portés par un élan national, se sont mobilisés tout seuls et dans ce cas, comment les identifie-t-on ?
- A quel moment et pendant combien de temps mesure-t-on ces impacts ? : délai conventionnel de mesure à établir (5 ans ?), à partir de quand ?
- Qui mesure ces impacts ? La démarche étant multi acteurs, s’assurer d’une mesure homogène entre tous les acteurs, établissement de règles communes ; mais il faut aussi qu’il n’y ait pas chevauchement
Les expérimentations en cours, associées aux travaux de la communauté des bailleurs, permettront sans doute de préciser ces paramètres.
Conclusions : L’importance du mainstreaming
L’expérimentation en cours au sein de l’AFD n’arrive pas par hasard. Elle s’inscrit dans un mouvement général qui a commencé bien avant elle. Il a été mentionné que la démarche au sein de l’AFD s’est inspirée des expériences d’autres bailleurs et des travaux de capitalisation de la Scaling Community of Practice. Un partenariat (Copar) a été noué avec cette communauté en 2022 qui a conduit à lancer une opération de mainstreaming, consistant à étudier comment la pratique du scaling est intégrée dans les organisations et à organiser un plaidoyer. Des études de cas ont été lancées (13 à ce jour) et serviront de base de connaissance, celle de l’AFD s’y intègre. L’opération est supervisée par un High Level Advisory Group avec une douzaine de personnalités du monde du développement.
L’effort de la SCoP a joué un rôle important dans le soutien du projet pilote de l’AFD à plusieurs égards et a contribué à son progrès et à sa réussite jusqu’à présent, à plusieurs niveaux :
- La SCoP a légitimé le projet pilote de mise à l’échelle en interne. Il était important de montrer que la cellule innovation de l’AFD qui a mené cet effort n’était pas la seule à explorer cette question : faire partie d’un grand groupe de donateurs et de bailleurs de fonds internationaux s’attaquant à des défis similaires. La publication d’un guide de mise à l’échelle par le CAD de l’OCDE en novembre 2024 – qui a également été facilité par le soutien de la SCoP – était un facteur de reconnaissance bienvenu .
- Par l’ampleur des périmètres visés, sans commune mesure avec celui du projet d’origine, la démarche peut difficilement être menée par un bailleur seul. On change de paradigme : traditionnellement, un bailleur réalise un projet, à la hauteur de ses propres moyens, quand il rencontre un partenaire qui remplit trois conditions : il est demandeur et motivé, il a les capacités techniques, il a les capacités financières. Le passage à l’échelle cherchant à répondre à des besoins plus larges nécessite donc des moyens qui le dépassent et qui seront mis en œuvre par des partenaires qui n’auront pas immédiatement envie de le faire parce que souvent ils n’auront pas les capacités techniques et financières réunis. On touche alors à l’environnement des affaires qu’il faut rendre favorable par une intervention conjointe de plusieurs bailleurs. L’harmonisation de l’aide doit sortir alors du discours pour devenir réalité.
- Enfin, la complexité et le large éventail des nouveaux défis à relever (mesurer les impacts par exemple) méritent une mise en commun d’expériences et de réflexions.
L’expérimentation menée au sein de l’AFD sera plus efficace si elle est réalisée pour certains projets sélectionnés avec d’autres donateurs. Cette option est actuellement à l’étude. Un partage d’expérience est également attendu avec le Fonds pour l’innovation en développement (FID), créé en 2021 et hébergé par l’AFD. Le but du FID, tel que défini par la lauréate du prix Nobel Esther Duflo, est d’appliquer une évaluation scientifique rigoureuse des impacts comme condition préalable à l’extension. Parmi les options de soutien financier offertes par le FID, il y a la préparation à l’échelle et certains gouvernements ont commencé à demander l’appui du FID pour une expérience d’échelle nationale.
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En guise de conclusion : le passage à l’échelle participe à l’évolution du concept de développement.
Le PAE avec l’émergence d’un nouveau métier va plus loin qu’une simple diversification des modes d’intervention. Il participe de l’évolution du concept de développement, de plus en plus critiqué dans la communauté internationale, car assimilé à une vision surplombante du Nord sur le Sud. L’approche de la mise à l’échelle, en impliquant conjointement par nécessité les intervenants du sud et du Nord transforme la dynamique du pouvoir préexistante tout en contribuant à une plus grande durabilité.
Si le terme Développement a l’avantage d’être concis et compris par tous, on commence à lui préférer à l’AFD l’expression d’Investissement Solidaire Durable (ISD). Le PAE répond bien à chacun des termes de cette expression en montrant bien ses avantages fondamentaux :
- Investissement 🡪 L’approfondissement de l’analyse économique participe d’une approche qui met en avant le retour sur investissement de l’effort de mobilisation financière, y compris pour les projets sociaux.
- Solidaire 🡪 la réalisation d’un passage à l’échelle mobilise le plus grand nombre d’acteurs financiers possibles, en privilégiant les ressources locales et la subsidiarité des fonds externes
- Durable 🡪 un projet a une durabilité plus grande s’il s’inscrit dans un essaimage et s’il ne reste plus isolé